Un pas en avant, deux pas en arrière

Certains arrivent à faire des choix guidés par la raison ; ça nous arrive à nous aussi, mais ce n’est certainement pas ce qui nous a guidés quand nous avons acheté notre voilier en mai 2020.

Deux ans et demi après, je me permets de vous spoiler au lieu de raconter dans l’ordre : ce n’était ni le bateau le plus rapide du marché, ni le plus moderne, ni le moins cher, ni le plus spacieux, ni le mieux conservé - en fait je me souviens plus bien pourquoi on a choisi ce bateau-là à part le coup de foudre qu’on recommande à tout prix d’éviter lors de toute acquisition - mais il était beau, il était costaud, il pouvait être à nous et surtout il nous rapprochait un peu plus du rêve de partir au long cours. Si vous nous demandez, on vous donnera évidemment avec aplomb toute une série de raisons techniques qui ont conduit à ce choix, mais je peux vous le dire discretos : en vrai c’est surtout parce qu’on le trouvait charmant.

Après une belle saison de navigation de mai à octobre 2020 à caboter avec les copains et la famille dans tous les recoins de la baie de Quiberon, en poussant parfois la graaaande aventure jusqu’à Lorient ou Noirmoutier, nous avons confiné le bateau dans un chantier à peu près en même temps que Macron confinait la France pour la deuxième fois.

L’objectif de la sortie de l’eau du bateau et de la mise en chantier était claire : rendre le bateau capable de traverser l’Atlantique et de se balader sous les tropiques pendant un an. Nous avons alors adopté une stratégie de type bâtard, en continuant à travailler à Paris : ni assez de temps sur place pour avancer les travaux nous-mêmes, ni assez de sous pour que les patrons du chantier ne daignent s’occuper rapidement de notre bateau, et pour couronner le tout, une expérience personnelle en bricolage limitée à la pose d’étagères et au changement d’ampoules (et sur un bateau, à la réparation d’une annexe gonflable par la pose d’une rustine et d’un spi déchiré par un scotch à spi). Évidemment, la misérable liste de travaux faite pendant l’été s’est démultipliée, avec moult découvertes typiques des vieux bateaux (de type, ah étrange ce câble électrique un peu brûlé qui passait sous le moteur). En complément des déconvenues classiques, se sont ajoutées des déconvenues plus déconvenantes, comme la découverte d’impacts graves sur la quille nécessitant une reprise de la liaison quille-coque (en gros, des gros travaux de fondation quoi), et une petite discussion de type judiciaire avec l’expert qui avait un peu légèrement expertisé le bateau au moment de l’achat.

S’en sont donc suivi 20 mois de confinement pour Largo, pour l’essentiel sous un hangar, sans mât, sans safran, sans hélice, sans moteur, la fibre de verre à l’air sous la coque après un sacré ponçage. A peu de choses près donc, une caravane, mais une caravane un peu humide, poussiéreuse et froide, sans matelas et sans électricité, une caravane bof donc. Nous nous sommes lancés dans une série d’allers-retours Paris-Bretagne pour avancer les travaux, à progresser petit à petit en sika, en ponçage, en epoxy et autre mastic, en mécanique diesel, en électricité 12 volts et en plomberie. Nous avons très vite compris que les refits de bateaux étaient toujours pareils : des montagnes russes, des jours à ne plus se sentir parce qu’on a réussi à réparer un éclat de gel coat, d’autres jours à vouloir s’ouvrir les veines parce que les vis en inox A4 qualité marine qu’on est allé acheter chez Theix Inox dans la zone commerciale de l’autre côté de Vannes sont trop longues pour les charnières du hublot, et qu’on est dimanche et que ce soir on rentre à Paris. Dans ces séries de hauts et de bas, nous avons pour notre part développé notre propre spécialité, que nous avons résumé sous la devise « un pas en avant, deux pas en arrière » : avec notre sens de l’anticipation, nos qualités innées de bricolage, et les facéties retorses d’un chantier de bateau, une majorité de notre temps de travaux a été consacrée à défaire longuement ce que nous venions de faire parfaitement pour le refaire autrement.







Le plus compliqué a toutefois été d’obtenir que le chantier intervienne sur notre bateau pour le gros œuvre sur la quille, le traitement du dessous de la coque et du safran. Pendant un an, la curieuse impression d’attendre Godot, une lente stagnation du bateau à poil dans son hangar.

Fin avril 2022, PE démissionne pour s’occuper du bateau en Bretagne (avec un mi-temps préparatifs de notre mariage toutefois). Et puis enfin la lumière, vers juin 2022 : à quelques jours de notre mariage, le stratifieur du chantier se lance sur notre bateau, le nouveau gréement est commandé, le moteur est redémarré chez le diéséliste, le nouveau parc des batteries est installé, le circuit électrique fonctionne, le nouveau panneau solaire est installé, le tout à peu près en quinze jours.



Le 12 août 2022, en pleine canicule bretonne, Largo retrouve le chemin de la mer, lors d’une mise à l’eau chaotique, comme si le bateau ronchonnait un peu de quitter la terre et de se retrouver brutalement les fesses dans l’eau. Très vite, la sensation du bateau qui ondule paisiblement, attaché à sa bouée-maison à Port Blanc, fera oublier les ronchonnements.




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