Résidents portugais

Cascais / Lisbonne, 17 octobre - 4 novembre 2022

Cela faisait quatre mois qu'il n'avait pas plu dans le sud du Portugal. A cette époque de l'année, en octobre/novembre, il n'y a encore que de brefs passages de dépression de vent de sud. Mais tout ça c'était sans compter le karma météo de Largo, un karma unique au monde, capable d'accélérer la précession des équinoxes et de renverser l'équilibre climatique d'une région.

Nous resterons donc bloqués pendant près de 3 semaines entre Cascais et Lisbonne, par vent de sud plus ou moins établi et pluies maussades, dans l'attente fantasmatique d'une fenêtre météo pour partir enfin vers le sud.

Après quelques jours à Cascais, profitant de Mauve et Attila, nous rejoignons en quelques heures de navigation la Doca de Alcantara, apparemment sans grand intérêt mais bassin le plus grand et le plus central de Lisbonne, où une place nous attend. Très curieux d'aborder notre première métropole à la voile, nous remontons le Tage, longeons la tour de Bélem, le monument aux navigateurs, passons sous l'immense pont du 25 avril en éblouissant toute la capitale avec nos voiles en ciseaux, puis repérons l'entrée de notre marina, juste après d'immenses grues de chargement de porte-conteneurs.

Evidemment, l'ambiance n'est pas encore au ti punch siroté les pieds dans un lagon, mollement balancés par un tiède alizé. Mais nous étions décidés à nous réjouir de cette ambiance industrielle, de ces piles immenses de conteneurs prêts à parcourir le monde sur des géants de métal, de la proximité immédiate d'une vieille capitale européenne riche et bruyante, de ce pont aux allures san franciscaines, ultime étape continentale avant de s'élancer vers l'overdose de soleil et d'eau turquoise.

Toutefois, l'entrée dans la marina met à rude épreuve notre optimisme esthétique. Nous nous faisons d'abord cueillir par le bourdonnement monstrueux du pont, comme un essaim géant de frelons tournoyant au-dessus de nos têtes, la marina se trouvant juste après les piles du pont. La marina est immense et pleine à craquer de bateaux propriétaires neufs (de très ennuyeux voiliers de chantiers français, Sun Odyssey, Océanis et First de dernières générations), et les pontons sont quasiment déserts. Autour de la marina, de très hauts grillages donnant une impression de prison sécurisée, impression renforcée à marée basse quand les pontons flottants s'enfoncent entre de hauts murs noirs. Aux abords immédiats de la doca, des docks industriels moroses et abandonnés, et d'immenses voies de circulation rapide, dont le bruit ne nous parvient même pas tant le bourdonnement infernal du pont couvre l'ensemble, seulement détrôné lui-même par le vrombissement plus infernal encore des avions passant au-dessus de la marina. Autre découverte dans l'inventaire des charmes de cette marina : les sanitaires, sorte de préfabriqués bas de gamme situés au milieu d'un parking de camping cars, avec douches sans loquets rongées par les moisissures. Si nous revenons mitigés de la première expérience de la douche, attribuant la mauvaise impression à la nuit noire, la deuxième expérience de la douche finira de nous convaincre que les sanitaires sont juste franchement infréquentables.

Pourtant, nous nous prenons finalement presque d'affection pour ce cadre décalé, et nous resterons une douzaine de jours dans la Doca de Alcantara. Environnement presque chaleureux, une fois qu'on a pris l'habitude de la sympathie froide du propriétaire de voilier portugais, qui dit rarement bonjour sur les pontons et préfère astiquer religieusement le gel coat rutilant de son bateau sous des litres de jet d'eau, et faire des sorties "sunset Tage" exclusivement au moteur (ce pour quoi le Français lui est reconnaissant puisque le Portugais donne au Français une occasion supplémentaire de se convaincre de sa supériorité maritime et de son appartenance à une véritable nation de la voile). Nous découvrons aussi des coins de docks plus hipsters, une aire de rollers et skate animée par des familles le week-end, et surtout, une ville rapidement accessible à coup de VTC pour quelques euros, où l'on retrouve avec joie Bérénice et Charles, et quelques amis de PE.

Un point sur les acquisitions matérielles du séjour (c'est dingue comme acheter des choses devient à la fois un tracas et une joie lors d'un voyage de ce type, dès qu'on se rapproche de la terre. Soit que l'homo occidentalis y retrouve une vieille manie réconfortante, soit qu'il y trouve une façon de dominer et donner forme à une nouvelle contrée qui l'entoure - dans tous les cas, peut-être parce qu'on a le luxe de disposer d'autant de temps, on scrute bien plus attentivement ce qu'on "consomme", et toute nouvelle acquisition répand à bord une ambiance de grande fête du village). Quelques achats notables donc:
- plusieurs visites chez Décathlon seront l'occasion d'acheter des goodies terre et mer, chaussures de footing et kit palmes/masques/tubas ;
- craquage de slip lors de la découverte d'un shipchandler très bien achalandé à Bélem, nous prenons multiples bouts pour remplacer nos bouts qui s'effritent, du matériel et des outils "pile ce qui nous manquait pour avancer", et je retiens PE de justesse avant qu'on ne craque également sur un nouveau revêtement pour les marches de la descente dans le carré ;
- enfin, PE réalise un rêve et s'achète un vélo pliable d'occasion, via leboncoin local, pas rebuté par mon scepticisme quant à la fréquence de l'usage de la monture, et le rangement de l'engin dans notre 7 m2.

Pour rattraper le retard de ce blog (spoiler : l'article est écrit de contrées enfin plus australes), et surtout pour éviter de verser dans la rhétorique du forum du routard (oui, on a pris le tram n°28, on a marché dans les ruelles montmartriennes de l'Alfama, on a goûté les "meilleurs" pastels de nata à la boulangerie de Bélem en se frayant un chemin entre les perches à selfie et les sacs à dos Quechua, on a admiré le "plus bel exemplaire du style manuélien" en observant la tour de Bélem, et oui j'ai cherché à acheter des azulejos du XVIIIe siècle sans trop savoir ce que j'en ferais), je vous laisse avec quelques photos retouchées avec saturation des couleurs frôlant le mauvais goût, et masquant maladroitement une grisaille quasi-permanente.





Style manuélien : beau mais s'approchant dangereusement de la kitscherie




Un "avant/après" très satisfaisant



Des petites photos dans les rues de Lisbonne, pour le quota tourisme du blog (pour une fois que ça parle pas de tangonner au portant ou de louvoyer au près)







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