Au portant et au près (I)

Cascais, Portugal, 18 octobre 2022

Viveiro - Muros

Après une brève escale de trois jours à Viveiro, juste le temps de confirmer, dans une grisaille finistérienne et une bruine récurrente, que les véritables joyaux de la ville sont ses supermarchés débordant de produits galiciens et son Super Chino débordant d'à peu près tout ce que la Chine produit de meilleur, nous appareillons à 18h le 10 octobre (oui messieurs-dames, nous on appareille, avec notre vaisseau amiral) vers le nord-ouest de l'Espagne, direction Muros au sud du Cap Finisterre. 

Plusieurs raisons nous poussent à reprendre rapidement la mer et le rythme des quarts. Outre le peu d'attrait de Viveiro, l'envie de fuir l'automne humide, et le plaisir de regagner quelques degrés, la météo, toujours grande prêtresse de nos destinations, prévoit deux jours plus tard un régime de vent de sud pour une bonne quinzaine de jours (soit un vent qui nous empêchera de descendre) et quelques passages de grosses dépressions qui nous bloqueront rapidement pour une dizaine de jours quelques part. Autant être bloqués dans le port de Lisbonne, à voir des amis et explorer une jolie capitale européenne à pied depuis le bateau. J'avoue que pour ma part, je ne suis pas mécontente non plus à l'idée de revenir "dans la course" de nos futurs confrères des alizés, les bateaux partis d'Europe qui comme nous descendent jusqu'au Cap Vert pour la transat en décembre (ceux-ci sont souvent partis avec un mois d'avance sur nous).

Cette traversée durera un peu plus de 24h, avec une arrivée tardive le lendemain soir ; pourtant passer une nuit en mer suffit déjà pour avoir l'impression de partir longtemps et pour décupler la joie d'accoster à un nouveau ponton. La vie à bord durant cette traversée se fait un peu plus douce que dans le golfe de Gascogne : mieux amarinés, et avec moins de houle de travers, il est désormais possible de lire, de cuisiner, et même de mettre une ligne de traîne à l'eau. 

Avec un vent d'Est et Nord-Est qui nous pousse le long de la côté espagnole, le trajet est aussi l'occasion de faire face au principal enjeu de notre programme : le vent arrière. S'il est impossible de naviguer face au vent, il n'est en réalité pas si évident non plus de naviguer avec un vent qui vient pile de l'arrière dans l'axe du bateau : le bateau "roule" avec la houle, et les voiles claquent désagréablement à tour de rôle sans s'établir. Quand on fait de la navigation côtière de courte durée, pas très problématique, soit on "tire des bords" pour que le vent vienne de trois quarts arrière, soit on envoie un spi symétrique. Mais pour faire une longue route comme la route des alizés qui nous attend (vent d'Est qui traversent le sud de l'Atlantique vers les Antilles), il faut une solution plus efficace, qui tienne jour et nuit plein vent arrière même quand le vent forcit, et qui stabilise le bateau dans la houle pour lui permettre de surfer sur les vagues. La solution principale est de mettre les voiles en ciseau, chacune d'un côté du bateau, "d'attacher" la bôme de la grand-voile d'un côté, et de tangonner le génois de l'autre côté. Ca paraît simple, mais notre tangon fait bien trois mètres et plusieurs kilos ; à installer seul à l'avant avec son système de bouts et un peu de houle, ça s'apprivoise un peu. 

Au matin du deuxième jour de notre traversée vers Muros, une dizaine de dauphins diplômés chez Marineland et un grand soleil nous encouragent à nous y mettre, après une nuit mollassonne à tirer des bords en tentant d'éviter de faire claquer les voiles, en slalom au milieu des pêcheurs et des cargos qui pullulent au large de la Corogne. Après quelques essais et réglages, toujours accompagnés de nos potes dauphins, nous y voilà: le bateau surfe avec élan et stabilité sur les vagues, les voiles ne claquent plus, et nous faisons route directement au bon cap. 

Je me doute que ces paragraphes techniques sur le portant sont franchement ennuyeux, mais je vous jure qu'une fois que le bateau se met à surfer sur les vagues dans l'axe du vent, on est sacrément contents, et on a soudain l'impression d'avoir un nouveau bateau, celui-là paré pour la route des alizés.

Nos petits potes pêcheurs, qui sortent en gangs de nuit, à traîner des chaluts de 200 mètres, lumières à surveiller dans la nuit et sur l'AIS du bateau

Nos petits potes dauphins, qui apprécient particulièrement se jeter dans la vague d'étrave du bateau en se retournant sur le flanc 

PE, en mode Extrême Limite

Voilà en vidéo le passage du Cap Finisterre, en fin d'après-midi, avec notre génois tangonné (attention les yeux, tentative informatique qui semble un peu heurter les limites techniques de ce pauvre blogspot inchangé depuis les années 90).


Après la tombée de la nuit, le chemin est encore long pour rejoindre l'entrée d'une baie immense aux eaux paisibles, formée de mille recoins bien abrités et bien mystérieux de nuit, et atteindre enfin dans un énième recoin le port de Muros. A minuit passé, un ami du chantier de Baden, ayant élu domicile avec son bateau dans ce port charmant, nous guide vers la place qu'il nous a réservée et attrape notre amarre sur le ponton. Une balade, après une immense nuit à la stabilité savoureuse, nous permet le lendemain d'explorer cette ville galicienne aux vieilles pierres proprettes, qui réussit plutôt bien le difficile pari entre authenticité, tourisme et mignonnerie. La météo désormais est sans appel: il nous reste quelques jours avant l'arrivée d'une série de dépressions pour tenter de gagner Lisbonne, avec une fenêtre peu clémente, le vent ayant déjà tourné sud mais les dépressions se trouvant encore bien au large en Atlantique.





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