A l'ouest des Canaries

La véritable rencontre avec les Canaries commence, pour nous, sans doute seulement lorsque nous arrivons sur l’île de la Gomera, à l’ouest de Tenerife, après avoir contourné le sud de Tenerife.

Nous parvenons sur la petite île de la Gomera après trente-six effets de vent locaux, de la pétole soudaine aux rafales violentes, le vent tournant parfois brusquement – nous croiserons même un bateau venant d’en face et navigant pourtant sur la même amure que nous, imaginez-vous ça. A 22h30, par nuit noire et après nous être bien fait secouer aux abords de l’île avec une ultime accélération de vent, nous repérons les feux d’entrée du port de San Sebastian et appelons à la VHF. Nous avions par miracle réservé et obtenu une place dans ce port, et pénétrons donc en vainqueurs dans un chenal mal éclairé. L’appel à la VHF nous donne deux infos : d’abord, nous nous présentons trop tard, notre place a été réattribuée, mais on nous donnera une place provisoire sur le ponton des catamarans (nous n’y voyons franchement pas d’inconvénient), et deuxième info, le marinero nous précise que « nos amis français nous attendent ». Croyant à une blague, nous nous amarrons alors qu’un bateau festif non loin de nous hurle « Largoooooo ! ». N’ayant pas anticipé une si grande notoriété, nous retrouvons avec surprise un voisin de chantier de Baden, Benoît, et rejoignons, un peu groggy de cette traversée sportive, le bateau festif pour la fin de la soirée, heureux d’avoir trouvé un port qui ressemble enfin à un port et un accueil si chaleureux.


La petite ville de San Sebastian est agréable, à la fois bien vivante et paisible, les touristes se confondant avec les européens ayant élu domicile à long terme dans l’endroit.



Le port est impeccable et d’un confort à faire oublier de prendre la mer, avec de solides et larges pontons flottants en béton, des douches presque chaudes, une grande laverie, et une ambiance assez animée entre les voiliers de tourdumondistes, de résidents permanents, et de pêcheurs sportifs, dont un australien géant type Indiana Jones, qui distribue avec de grands éclats de voix de Yankee, des énormes morceaux de wahoo (thazard) à tour de bras à tout le ponton à chaque retour de pêche. Outre Benoît et sa famille, qui viennent du Bono, nous faisons la connaissance d’un autre bateau français ainsi que de notre voisin, un anglais de 85 ans résident permanent à La Gomera à bord de son voilier coquettement entretenu, que nous inviterons à boire le thé (mais qui, horrifié par les thés verts que nous lui proposons, boira plus volontiers du café et nous offrira avec émotion, au matin de notre départ de la Gomera, du thé noir anglais "for when you get across").






Nous nous empâtons donc au port (faisant honneur notamment deux fois à la même pizzeria, commandant deux fois exactement la même pizza), et profitant de ce séjour de pacha, nous cédons enfin aux sirènes du tourisme pour louer une voiture, et découvrir l’intérieur de l’île. Ce road trip nous emmène à travers de chouettes paysages de montagnes immenses et de crètes étroites, de routes en lacets pour traverser l’île, de sommets baignés par les nuages, de forêts vierges inattendues, et de petits villages animés au nord de l’île, avec très peu de monde croisé pendant la journée, en dehors de locaux accueillants dans les villages. Note à moi-même : si un jour c’est la crise de nerf, venir passer une semaine à la Gomera, dans les villages d’Hermigua ou d’Agulo. 

L'île de Tenerife vue depuis la Gomera, avec son mont Teide culminant à 3715 mètres

Nous sommes allés faire nos remerciements à ce petit phare mignon, qui nous a été fort utile pour l'arrivée de nuit dans le port


Hermigua, village aux allures de bourg des vallées en bas des stations de ski

Une plage de sable noir au nord de l'île, entourée de bananeraies

Agulo est un village particulièrement joli, au nord de l'île, au centre d’un amphithéâtre de montagnes, perché au-dessus de la mer, et face à Tenerife. Moment Le Guide Vert de ce blog (c’est pénible mais c’est rapide, et ça peut vous être utile si jamais vous vous rendez à Agulo), trois fun facts sur ce hameau bien riche en traditions et en légendes, pour ceux que ça intéresserait :

- Il existe dans le quartier d’El Charco (le quartier bohême), une rue qui s’appelle "Calle Poeta Trujillo Armas". Le nom vient d’une tradition qui consistait à hurler, depuis cette rue suspendue au-dessus du quartier d’en face, la Montaneta, le quartier bourge, des vers satiriques improvisés sur les habitants de ce quartier voisin ;
- Le long de la jolie église de San Marcos, les habitants ont encore pour tradition de faire de grands feux, et de concourir à sauter par-dessus ces feux pour rendre hommage au saint patron, le 24 avril ;
- Il existe également une légende pour expliquer pourquoi la rue la plus bourgeoise de la ville, dans le quartier huppé de la Montaneta, est continuellement à l’ombre jusqu’au 3 février chaque année (une histoire d’amants maudits, pour esthétiser le fait que le village se trouve sur la face nord d’une île aux très hautes montagnes).

Village d'Agulo, je vous avais prévenus que c'était joli

Pas mal joli d'ici aussi

La rue des bourges, mais toujours à l'ombre jusqu'au 3 février

Photo d'une façade qui pourrait être dans mille endroits au monde
mais que j'aime bien quand même

Bougainvilliers + vue mer, combo qui fonctionne


La baraque de José Aguiar, le peintre célèbre (1895-1976) qui a peint notamment les fresques qu'on a beaucoup aimées dans la cathédrale de Candelaria si vous vous souvenez de l'épisode précédent

Et quelques photos de la suite du parcours:


Aux plus hauts sommets de l'île, tout à coup, une immense forêt avec des dizaines de départs de randonnées que nous n'avons malheureusement pas eu le temps de TOUS faire

Quelque part en Corse

Quelque part au Mexique

Quelque part dans les nuages

Petit spot apéro pas mal si on aime le style "suspendu dans le vide"

Le mont Teide sur Tenerife en face, photogénique également au coucher de soleil

En arrière-plan de ces activités touristiques de portuaires sédentarisés, nous réfléchissons tous les jours à la mer, à nos plans prochains, à la traversée vers le Cap Vert, et préparons religieusement le reste de l’avitaillement pour les prochains mois, en vue notamment de la transat.


Enfin, un jour, c’est le couperet de la météo qui nous tire du confort du port : il ne nous reste qu’une courte fenêtre météo de quelques jours, avant à nouveau une bonne semaine sans vent suivi d'un régime bizarre de vent de sud, pour prendre la mer vers le Cap Vert. A la veille du départ, nous sommes pris par une étrange appréhension. Les informations que nous avons sur le Cap Vert sont limitées (merci Chantal!), et parfois assez décourageantes, surtout selon les anglo-saxons, qui voyagent souvent plus richement que les français, et qui s’y aventurent peu (tu peux y aller, mais il n’y a qu’un seul port dans tout l’archipel, c’est très difficile de trouver fuel, eau et nourritures, il y a des attaques au couteau la nuit sur les bateaux et des vols d’annexes). Après avoir étudié en profondeur la possibilité d’une fenêtre météo plus tardive, nous laissant plus de temps aux Canaries (comble pour des gens qui s’y disaient paumés), nous larguons donc les amarres le mardi 29 novembre, pour une traversée de 750 milles vers le Cap Vert, avec un équipage seulement composé de nous-mêmes, incertains de la destination mais heureux de reprendre la mer.

Nouvelle coupe pour un nouveau départ

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